Via Le Temps (thx Nicolas Besson for the link)
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Par Réda Benkirane
Dans un livre pionnier, «Théorie du drone», le philosophe français Grégoire Chamayou analyse le rôle grandissant du drone dans la guerre moderne, et sur ce qu’il changera en termes de géopolitique et de surveillance globale.
Théorie du drone
Grégoire Chamayou, Editions La Fabrique, 363 pages.
Le drone est un «objet violent non identifié» qui est en train de miner le concept de guerre tel qu’on le connaît depuis Sun Tzu jusqu’à Clausewitz. Dans une œuvre de pionnier, le philosophe français Grégoire Chamayou décode cet objet qui soulève quantité de questions relatives à la stratégie, à la violence armée, à l’éthique de la guerre et de la paix, à la souveraineté et au droit. Le drone et ses clones robotiques ouvrent au sein des conflits violents une vaste terra incognita totalement impensée par le droit international et les lois immémoriales de la guerre.
Dans un ouvrage magistral, le philosophe entreprend la toute première réflexion sur cette nouvelle forme de violence, née de la généralisation d’un gadget militaire, le drone, ce véhicule terrestre, naval ou aéronautique sans homme à son bord (unmanned).
Les drones Predator et Reaper ont la particularité de voler à plus de 6000 mètres d’altitude et d’être télécommandés par des individus souvent civils (faut-il les considérer comme des combattants?) depuis une salle de contrôle informatique du Nevada. D’un clic de souris, un téléopérateur appuie sur une gâchette et déclenche un missile distant de milliers de kilomètres qui immédiatement s’abat sur un village du Pakistan, du Yémen ou de Somalie. Le drone est «l’œil de Dieu», il entend et intercepte toutes sortes de données qu’il fusionne (data fusion) et archive à la volée: en une année, il a généré l’équivalent de 24 années d’enregistrements vidéo.
Cette Théorie du drone a le mérite d’informer sur la mutation majeure des conflits violents entamée sous les présidences Bush et adoptée par l’administration d’Obama. Le drone et la suite des engins tueurs qui se profilent à l’horizon – les Etats-Unis disposent de 6000 drones et travaillent à des avions de chasse sans pilote pour 2030 – transforment une tactique adjacente en stratégie globale, et font de l’anti-terrorisme et de la politique sécuritaire leur doctrine de combat du siècle. Initiés par les Israéliens, premiers adeptes de l’euphémique devise «personne ne meurt sauf l’ennemi», puis repris par les «neocons» américains, les drones font le miel de l’équipe d’Obama, pour qui «tuer vaut mieux que capturer», liquider par avance les suspects terroristes étant préférable à leur enfermement à Guantanamo.
L’auteur poursuit sa démonstration sur l’imprécision et la contre-productivité du drone; du fait de l’altitude à laquelle il opère, son rayon létal est de 20 mètres, tandis que celui d’une grenade est de 3 mètres. Seule la munition classique peut être véritablement considérée comme une «arme chirurgicale» du point de vue de sa précision létale. Etant donné les milliers de morts civils qu’ils ont occasionnés, les drones ont aussi le désavantage de rallier toujours plus les populations locales aux groupuscules terroristes.
L’auteur montre comment la diminution croissante des morts des militaires et l’extension continue du «dommage collatéral» – ce mot qui cache depuis la fin de la Guerre froide la liquidation informelle de civils non combattants – procèdent de l’assomption suivante: dès qu’un actant de «l’axe du mal» est identifié, son réseau social fait de facto partie du c(h)amp du mal que l’on pourra vitrifier depuis une interface informatique. Certains avancent même l’idéal déréalisant que la robotique létale constituerait l’«arme humanitaire» par excellence et l’auteur fait observer combien l’euphémisation des enjeux militaires est légitimée par la rhétorique du care. Chamayou voit dans la novlangue sur le militaire humanitaire les débuts d’une politique «humilitaire».
La géopolitique est en train de laisser place à une aéropolitique. La guerre n’est plus un affrontement ni un duel entre parties combattantes sur un territoire délimité, mais une «chasse à l’homme», où un prédateur poursuit partout et tout le temps une proie humaine. Les notions de temporalité, de territorialité, de frontière, d’éthique guerrière et de droit humanitaire sont rendues obsolètes par ces armes low cost et high-tech.
L’auteur prédit un avenir fait de robots-insectes miniaturisés – les nanotechnologies aidant – concourant à la mise en place d’un système panoptique complet qui risque d’enserrer les Etats et les citoyens.
Cet ouvrage, d’ores et déjà incontournable, en appelle à une prise de conscience politique face à la déshumanisation en cours derrière ce nouvel art de surveiller, d’intercepter et d’anéantir.
Personal comment:
Following my recent post about drones (as scanning devices), there are obviously different types of drones and like any other technology, it looks like that this one too has two sides... We are now probably in need of some renewed "Contrat Social" that would take into account additional "parameters" (between humans and machines/technologies + between humans and our planet --Contrat naturel--).