Via OWNI
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by Andréa Fradin
“Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quelle étagère ?” Pour certains spécialistes des neurosciences, il semblerait que cette quête de sens, ainsi que toutes nos angoisses existentielles, traîneraient du côté du rayon “cerveau”. Et il en serait de même pour LA question: et Dieu, dans tout ça ?
Voilà une dizaine d’années qu’un petit nombre de chercheurs, principalement américains et canadiens, recherchent activement les manifestations du Grand Horloger, et plus généralement la source de la spiritualité, dans les méandres cérébraux. La pratique, baptisée “neurothéologie”, restée aujourd’hui à la marge, est souvent présentée comme un domaine d’études un peu curieux, à la légitimité faiblarde. Pourtant, ils ne sont pas tous à chercher la preuve de l’existence (ou pas, d’ailleurs) de Dieu dans le fatras synaptique. Il est vrai que certains n’hésitent pas à clamer haut et fort avoir localisé une zone extatique cérébrale, sorte de bouton-pressoir activateur de foi.
D’autres en revanche, plus modérés, rétorquent que là n’est pas la question. Ni démonstrateurs en odeur de sainteté, ni abatteurs de divinités, ces chercheurs tentent d’observer une réalité vécue et exprimée: celle des états de conscience modifiés, des expériences dites “mystiques”, de la méditation, ou bien encore de la sensation d’unicité avec le monde. Expliquer la spiritualité en scrutant la cervelle humaine: difficile d’envisager entreprise plus périlleuse, tant les réticences en provenance des deux bords, science et religion, viennent impacter et questionner les conditions expérimentales des “neurothéologues”.
Neuro-localisation de Dieu
Le "casque de Dieu" du chercheur Michaël Persinger (extrait de la série "Through the Wormhole" de Science Channel)
Avec son “Helmet God” (“casque de Dieu”), Michael Persinger [ENG] fait figure de précurseur dans le domaine de la neurothéologie.
L’objectif de ce chercheur américain est de reproduire l’expérience mystique en stimulant certaines zones du cerveau, comme le lobe temporal -qui joue un rôle déterminant dans la production des émotions-, grâce à des ondes magnétiques émises par son fameux casque jaune.
Si l’electro-encéphalogramme s’affole au cours de chaque expérience, les retours des différents cobayes, eux, sont loin d’être univoques: quand certains affirment avoir l’impression qu’une “entité” était auprès d’eux, d’autres, en revanche, disent tout simplement ne rien avoir ressenti.
Avant Persinger, un chercheur de l’université de San Diego, Vilayanur Ramachandran, cherchait déjà une base neurologique aux manifestations spirituelles. Ses travaux portaient sur certaines formes d’épilepsie affectant ce même lobe temporal et pouvant entrainer des délires mystiques intenses chez les individus en crise. Une observation qui a valu le titre de “module de Dieu” à cette région du cerveau, dans laquelle on retrouve l’hippocampe, ou l’amygdale.
Pour Carol Albright, auteur de nombreux ouvrages sur la neurotheologie et rédactrice au magazine Zygon: Journal of Religion and Science, l’approche matérialiste de ces deux chercheurs, qui tentent de prouver “que toute expérience ou foi religieuses sont une aberration ou artefact”, est une conception “limitée de ce que comprend la religion”. Elle explique à OWNI:
Personnellement, je pense que l’expérience religieuse est bien plus multiple que ce que prétendent ou rapportent de tels scientifiques. Elle peut inclure des expériences mystiques de la présence de Dieu, mais elle comporte aussi une doctrine intellectuelle, une participation au rituel, et une orientation générale de la personnalité, entre autres paramètres.
Autrement dit, elle ne se limite pas à l’extase mystique, produit de l’expérience spirituelle; elle inclue aussi des éléments de contexte qui viennent bien en amont de cette manifestation, et qui dépassent le seul cadre du cerveau. Bien entendu, tempère Carol Albright, chaque affect humain a une résonance cérébrale, mais réduire la spiritualité à cette seule réalité, et plus encore, la percevoir comme seule raison à Dieu, est un raccourci simpliste.
Au-delà du matérialisme réductionniste
De là à associer l’intégralité de la neuroscience à une approche matérialiste du religieux, il n’y a qu’un pas. Pourtant, souligne encore l’analyste américaine, certains travaux se démarquent par une approche moins reductionniste.
Les américains Andrew Newberg et Eugene d’Aquili, auteurs du succès de librairie Why God Won’t Go Away: Brain Science and the Biology of Belief et initiateurs du terme “neurothéologie”, le canadien Mario Beauregard de l’université d’Ontario, cherchent moins à neuro-localiser Dieu qu’à observer la traduction cérébrale d’états de consciences modifiés. “A chaque fois, on n’a aucune idée de ce qu’on va trouver”, confie un assistant de Mario Beauregard à la caméra venue filmer les expériences de cette équipe de neurobiologistes, pour le documentaire Le Cerveau mystique, réalisé en 2006 (l’intégralité à voir ci-dessous).
En étudiant les états méditatifs de nonnes carmélites, ils tentent de comprendre le “cerveau spirituel”. Mais là encore, de bout en bout de l’expérimentation, la tache est difficile: convaincre les religieuses, repérer le moment extatique sans pouvoir interrompre la méditation, et surtout, interpréter les données sans savoir précisément qu’y chercher. La neurothéologie avance donc à tâtons. Mais dans une visée moins philosophique que pratique: pour ces chercheurs, l’objectif est d’augmenter le bien-être des individus, bien plus que de jouer à la devinette ontologique.
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En ce sens, de nombreux neurothéologiens ont concentré leurs efforts sur l’étude de la méditation, afin de comprendre sa mécanique mais aussi ses effets sur le cerveau et le corps.
L’un des premiers à avoir aborder la thématique est le professeur Richard Davidson, qui s’est penché sur des moines bouddhistes ayant consacré plusieurs dizaines de milliers d’heures à la méditation. “Étudier leur cerveau, explique-t-il dans Le Cerveau Mystique, est un peu comme observer des maîtres d’échecs.”
Et il semblerait que l’activité cérébrale d’une personne entrée en méditation varie assez considérablement de celle d’un individu lambda: “il y a un changement spectaculaire entre les novices et les pratiquants”, explique Antoine Lutz, qui travaille en étroite collaboration avec les moines, parmi lesquels figure l’interprète français du Dalaï-Lama, Matthieu Ricard, très porté sur les avancées de la neuroscience.
Et il n’est pas le seul: le guide spirituel du mouvement est lui-même très investi dans le domaine. Le Dalaï-Lama est en effet co-fondateur et président honoraire du Mind and Life Institute, qui vise à “construire une compréhension scientifique de l’esprit pour réduire la souffrance et promouvoir le bien-être”.
Un engagement qui n’a rien d’anodin, car, comme le souligne un moine cistercien invité d’un congrès du Mind and Life:
Depuis mille ans, la religion et la science se sautent à la gorge dès qu’elles en ont l’occasion
Une façon de rétablir la trêve, même si des irréductibles refusent d’abandonner le front. “Il y a des “fondamentalistes” de chaque côté du débat -ceux qui ne jurent que par la science ou à l’inverse, seulement par la religion-, qui cherchent à saper l’autre clan”, explique Carol Albright. Résidente de Chicago, elle explique comment cinq écoles de théologie cohabitent avec l’approche scientifique:
Je vis dans le quartier de Hyde Park, à Chicago, où se trouvent l’Université de Chicago, ainsi que cinq écoles de théologie – Catholique Romaine, Luthérienne, Unitarienne, et deux autres se rapprochant du Calvinisme… Ajouté à cela, l’Université de Chicago a une Divinity School qui défend une approche très universitaire. J’ai des amis de chacune de ces confessions, qui travaillent à comprendre l’interaction de la science et de la religion. Ils ne cherchent pas à nier les conclusions scientifiques, mais bien plus à les intégrer à leur pensée, afin de mieux évaluer l’état de la connaissance de nos jours.
Qu’en est-il pour la France ?
Il semblerait qu’une telle approche soit moins entravée par une réserve pieuse que par l’ostracisme de la communauté scientifique. Doctorant en neurosciences cognitives et à l’origine d’Arthemoc, première association scientifique se concentrant sur l’étude des états modifiés de conscience en France, Guillaume Dumas raconte:
En France, on est vraiment à la traîne sur tous ces sujets; il est difficile de sortir des sentiers battus. Dès qu’on évoque la religion dans des thèmes de recherche, on n’est pas loin d’être insultés. Cela m’est même arrivé dans une présentation pour Arthemoc alors que j’évoquais juste les effets de la méditation. Il suffit de prendre le cas de Francisco Varela pour comprendre la situation française. C’était un chercheur brillant, fondateur du Mind and Life Institute, mais dont un article sur la méditation lui a presque coûté une accréditation lui permettant d’accéder au poste de directeur de recherche.
Difficilement surmontable par les neuro-scientifiques, ce déni de légitimité alimente, ironie suprême, la fuite des cerveaux outre-Atlantique. Comme le constate, amer, Guillaume Dumas:
La seule solution est de partir aux États-Unis. C’est ce qu’a fait Antoine Lutz, un ancien doctorant de Varela qui souhaitait justement étudier la méditation en neuro-imagerie.