Les temps changent. Et la notion de « circulation circulaire de l’information », qui était vicieuse dans le discours du sociologue Pierre Bourdieu au sujet du fonctionnement médiatique, devient vertueuse sur internet. Elle devient même une sorte de modèle d’un nouveau mode de diffusion de l’information.
Cette idée d’inversion de la valeur attachée à cette notion n’est pas de moi. Je l’ai lue quelque part, mais je ne souviens pas où. Je la fais donc circuler sans référence à la source, ce qui rompt un peu, précisément, le flux de circulation circulaire. A me lire ici, on pourrait croire que j’en suis la source, alors que je ne suis qu’un « circulateur » [1]…
[2]
Mais j’ai un autre bon exemple sous la main. Suivez, pas à pas, le processus de circulation circulaire :
Dans cette chaîne, chacun de ceux qui citent renvoie vers tous ceux qui ont cité précédemment. Et le tout suscite, à chaque citation, une « grappe » de commentaires « sur place » de la part du lectorat particulier de chacun des « citateurs ».
Chacun des « citateurs » commente l’information initiale et la « reformate » à destination de son propre lectorat, permettant ainsi d’en accroître la diffusion. Le processus se propage « en grappe » lui-aussi, chaque point de citation étant potentiellement le noeud d’une nouvelle propagation. Le message initial se métamorphose durant le processus (avec probablement des pertes et des gains d’informations au passage : des simplifications ou des enrichissements), mais c’est - en définitive - la diffusion globale du message initial qui est accrue par ce processus « en avalanche »…
Il y a là de quoi réfléchir. C’est vraiment, à mon avis, un nouveau mode de circulation de l’information qui s’illustre ici : une circulation de noeud en noeud, au sein d’un réseau « en grappes ».
Ce modèle n’a que peu de chose à voir avec celui de la circulation de l’information dans les réseaux « traditionnels » des médias (presse écrite, radio, télévision), comme je le suggérais récemment (cette question fait partie de « mon programme de travail sur ce blog »).
Une idée de là où je veux en venir, dans cet article de Alexandre Steyer [3] et Jean-Benoît Zimmermann [4] : Influence sociale et diffusion de l’information (15 pages, en .pdf). Résumé :
La notion de diffusion, quel que soit son objet, est centrale pour tout système ou construction sociale, car elle se trouve à la base de la mise en cohérence des comportements des individus ou de leurs représentations, donc de la coordination de leurs actions. L’idée, à l’origine de la notion de diffusion, est que les interactions entre individus sont le moteur principal de l’évolution de leurs comportements, croyances ou représentations. Notre démarche dans cet article est celle des réseaux d’influence sociale, dans lesquels l’agent est situé dans une structure de nature résiliaire où la progression de l’influence est contingente d’effets de cumul. Après avoir exposé les principes d’un modèle de diffusion en réseau, fondé sur une dynamique de cheminement de l’influence sociale, nous étudions la manière dont cette influence se propage sous la forme d’« avalanches », donnant par là une importance fondamentale à la structure du réseau. Nous analysons comment le bruit, généré par ces avalanches constitue une signature de la structure sociale et peut en retour contribuer, par effet d’apprentissage, à modifier cette structure et donc la dynamique [de] diffusion. Nous expliquons alors pourquoi émergent des courbes de diffusion « critiques » singulières, en loi de puissance, au lieu de la forme exponentielle des courbes de diffusion traditionnelles.
Quand la blogosphère joue à plein de cette « circulation circulaire » de blog en blog, qui permet la formation d’effets de diffusion « en avalanche », les médias en ligne, dans leur logique de sites « portails de l’information », de « sites de destination », ne sont pas en mesure de le faire. Ils ne sont plus qu’un maillon dans une chaîne, et c’est la chaîne - non plus le média - qui assure la diffusion en ligne. Les journalistes n’ont pas encore pris conscience de cette nouveauté et ne s’y sont pas encore réellement adaptés : s’ils veulent jouer un rôle dans la diffusion de l’information, c’est dans la dimension sociale d’internet que ça se joue, c’est à dire hors de leur site et après la mise en ligne. C’est ce qui me pousse à penser que l’avenir du journalisme en ligne est dans l’immersion dans les réseaux sociaux du net, ce qui est une autre aspect de la question déjà posée précédemment : Les sites d’info doivent-ils migrer sur Facebook et dans les blogs ?
On va en reparler sur ce blog… 
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Via Novövision
Personal comment:
Un commentaire très à propos par rapport à la nature même de ce blog de "veille" (celui de fabric | ch). J'aime assez l'idée et l'image d'"avalanche informationnelle", qui serait donc constituée par la masse des "reblogs" et autres "reposts" ou citations.
Merci à Nicolas Besson pour le lien.